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21 février 2023

URBANISME – USUCAPION PAR UNE PERSONNE PUBLIQUE

21 février 2023

URBANISME – USUCAPION PAR UNE PERSONNE PUBLIQUE

La troisième chambre civile a rendu un arrêt qui sera publié au Bulletin (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 4 janvier 2023, 21-18.993) sur une question qui ne recevait pas de réponse claire de la part des juridictions :

 

Une personne publique peut-elle acquérir un bien par usucapion, à savoir par prescription trentenaire ?

 

Contexte légal

 

La Doctrine, notamment le Ministère de l’Intérieur, ainsi que beaucoup de juridictions de premier et second degré, considéraient que le Code général de la propriété des personnes publiques ne prévoyant pas expressément la possibilité pour une personne publique d’acquérir par la voie de la prescription trentenaire :

 

« Ce mécanisme de prescription acquisitive trentenaire ne peut bénéficier aux communes. En effet, cette modalité d’acquisition de biens ne figure pas parmi celles que prévoit le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P). D’après ce code, une commune peut acquérir un bien à titre onéreux, selon des procédures relevant soit du droit privé, tels l’achat ou l’échange, soit du droit public, à savoir l’exercice du droit de préemption ou l’expropriation. Une commune peut également devenir propriétaire d’un bien à titre gratuit, soit en acceptant un don ou un legs, soit en mettant en œuvre la procédure d’acquisition d’un bien immobilier vacant ou sans maître prévue aux articles L. 1123-1 à L. 1123-3 du CG3P. » (Réponse du Ministère de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration publiée dans le JO Sénat du 08/03/2012 – page 643)

 

Cette position Ministérielle était sans doute un peu péremptoire, car la Troisième chambre civile de la Cour de cassation avait pu avoir une position sensiblement contraire à celle du Ministère dans des jurisprudences :

 

« Attendu, d’autre part, qu’ayant souverainement retenu que les consorts X… n’établissaient pas leur propriété sur la place de l’Aire par titre, que les actes de possession accomplis par eux sur cette place étaient équivoques et que la commune justifiait d’actes de possession trentenaire par des aménagements publics, un entretien constant et une ouverture au public de la totalité de la place laquelle avait toujours servi au passage public des hommes et des véhicules et était ouverte à la circulation générale sans restriction, la cour d’appel, qui n’était tenue de répondre ni à des conclusions relatives à l’existence d’une servitude de passage que ses constatations rendaient inopérantes, ni à un simple argument et n’était tenue ni de s’expliquer sur une attestation qu’elle décidait d’écarter, ni de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée sur le fondement des travaux d’implantation de canalisations effectués par la commune, a légalement justifié sa décision » (Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 25 février 2004, 02-20.481).

 

Ou encore :

 

« 1. ALORS QUE, l’usucapion trentenaire nécessite, pour avoir lieu, que celui qui s’en prévaut ait accompli, sur le bien dont il se prétend propriétaire, des actes de maître à titre de propriétaire, ce qui a pour conséquence d’exclure les détenteurs précaires ou encore les bénéficiaires d’acte de simple faculté ou de pure tolérance, tous ceux qui possèdent pour autrui autrement dit, du bénéfice de cette usucapion ; qu’en s’abstenant de s’expliquer sur le titre en vertu duquel la commune de Bourail a commencé d’occuper, puis a construit une école sur, le lot Pie de la section de Gouaro, la cour d’appel, qui évoque successivement et sans mieux s’en expliquer l’hypothèse d’une « mise à disposition » et d’une « cession », dont on ne sait pas si elles auraient été la conséquence d’un prêt à usage, d’un projet de vente qu’on n’aurait jamais pris le soin de souscrire ou d’une impossible libéralité, puisque les immeubles ne peuvent pas faire l’objet d’un don manuel, a privé sa décision de base légale sous le rapport des articles 2229 ancien (2261 actuel), 2232 ancien (2262 actuel) et 2266 actuel du code civil ;

2. ALORS QUE la société Plage de Poé, Mme Élisabeth X… et M. André Y… ne se prévalaient de la lettre du maire de Bourail en date du 21 juillet 2004 pour soutenir que la commune de Bourail aurait renoncé au bénéfice de l’usucapion, mais pour faire valoir que la commune de Bourail « affirmait à Mme X… avoir bénéficié d’un don de cette parcelle [le lot Pie de la section Gouaro] alors même qu’elle savait que cela était faux », donc pour soutenir que la commune de Bourail n’a jamais possédé ce bien à titre de propriétaire ; que la cour d’appel a violé l’article 4 du code de procédure civile » (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 15 décembre 2016, 15-24.931).

 

Dans ces deux espèces, la Troisième chambre civile semblait avoir considéré favorablement la possibilité pour une personne publique d’acquérir par usucapion.

 

L’arrêt du 04/01/2023 présente le mérite de la clarté : une personne publique peut acquérir par usucapion.

 

En l’espèce

 

Une commune avait saisi la Cour de cassation d’un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence déclarant irrecevable son action en revendication sur le fondement de la prescription trentenaire concernant un bien appartenant à une personne privée.

 

La Cour d’appel avait suivi la doctrine du Ministère de l’Intérieur, à savoir que le Code général de la propriété des personnes publiques énumère de manière exclusive les possibilité d’acquisition d’un bien pour les personnes publiques.

 

La Troisième chambre civile a sanctionné cette analyse :

 

« 7. Pour déclarer irrecevable l’action en revendication de la commune, l’arrêt retient que, même si le code civil ne distingue pas entre les personnes, le code général de la propriété des personnes publiques énumère de manière exhaustive et exclusive les modes d’acquisition des biens immobiliers et mobiliers par les personnes publiques, de sorte que, depuis son entrée en vigueur, la prescription acquisitive, qui n’y est pas mentionnée, ne peut plus être invoquée par une personne publique.

8. En statuant ainsi, alors que les personnes publiques peuvent acquérir par prescription, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 4 janvier 2023, 21-18.993).

 

Il convient maintenant de voir comment les personnes publiques vont user de cette possibilité.

 

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Maître Guillaume LE BORGNE, Avocat en droit public à Tours (37), assiste, conseille et défend ses clients qui rencontrent des difficultés avec l’Administration : permis de conduire (décision 48 SI, 3F, 3A), permis de construire, refus de FIDAA, harcèlement moral dans la fonction publique, urbanisme (permis de construire, permis d’aménager) …